Guinée : comprendre les dessous du conflit entre éleveurs <<étrangers>> et agriculteurs à Lola

La Guinée forestière est une région située dans le sud-est de la République de Guinée. La forte pluviométrie dans cette région favorise la pratique de l’agriculture et de l’élevage au point d’attirer des éleveurs étrangers venus de certains pays sahéliens. Cependant, la cohabitation entre agriculteurs sédentaires et ces éleveurs nomades engendre des conflits parfois meurtriers et impacte la quiétude dans des préfectures comme Lola. Dans cet article, le Comité de rédaction et d’analyse du Projet IMPACT en Guinée tente d’expliquer les causes de cette instabilité et son impact sur le vivre ensemble.

Selon Lah Siomou, inspecteur régional de l’Agriculture et de l’Elevage de la région administrative de N’Zérékoré, que nous avons interrogé, « des bouviers venus de la République du Mali, du Niger et du Tchad avec des zébus ont commencé à s’installer dans la région entre 2014 et 2015. Certains sont installés par les autorités locales et d’autres par la population elle-même à travers des propriétaires terriens ».

Pourtant leur cohabitation avec les populations autochtones qui sont principalement des agriculteurs n’est souvent pas facile. Ceux qui travaillent la terre dénoncent régulièrement  la destruction de leurs cultures causées par le passage des zébus. Ils accusent cette race venue des pays sahéliens de  voracité. « Elle ravage les cultures, contrairement aux animaux connus dans l’élevage pratiqué en Guinée », assure-t-il.

Pour les agriculteurs, « les éleveurs sont des étrangers venus de la sous-région »

Des hostilités entre ces deux groupes sont fréquentes dans les localités de Foumbadou et Lainé dans la préfecture de Lola depuis 2016. Ces affrontements se soldent souvent par des cas de morts et de dégâts matériels importants. 

Le 04 et le 08 janvier 2024, les mêmes conflits agropastoraux ont été observés dans la sous-préfecture de Foumbadou et dans la localité de Lainé. Des conflits ayant entraîné des dégâts matériels importants. « Les domiciles de plusieurs éleveurs ont été saccagés et leurs animaux chassés par les citoyens très en colère », témoigne un des habitants.

Selon nos informations, à Foumbadou, c’est un groupe de personnes hostiles à la présence des éleveurs qui s’est « soulevés » pour tenter de déloger les bouviers et leurs bœufs dans leur localité. Une semaine après ces violences survenues à Foumbadou, des nouveaux affrontements ont éclaté le 08 janvier 2024 dans la sous-préfecture de Lainé, située à 13 kilomètres de Foumbadou. Le bilan est lourd : « plusieurs blessés, notamment des agents des forces de l’ordre, et des habitations saccagées », selon ce rapport d’un collectif d’ONG de défense des droits humains.

Selon les autorités locales, les  violences ont eu lieu lorsque des jeunes sont venus voir le sous-préfet pour que ce dernier chasse les éleveurs de leur localité. Ils ont aussi laissé entendre qu’ils voulaient faire les mêmes choses qu’ont fait les citoyens de Foumbadou, à en croire Oualamou Sonomou, maire au moment des faits qu’on a pu joindre au téléphone. Après donc cette démarche sans suite favorable, ils ont décidé le même jour de passer à l’acte : « Saccager le domicile du sous-préfet et ceux des bouviers, barricader la rentrée du village par des troncs d’arbres pour empêcher toute intervention des forces de défense  et de sécurité ».

Un cas de mort enregistré et des policiers et gendarmes blessés…

Venus pour le maintien d’ordre, les services de sécurité ont été bloqués à la rentrée du village avant d’accéder peu après la venue d’un renfort. Dans les altercations, trois policiers et un gendarme ont été blessés, un cas de mort et plus d’une soixantaine d’arrestations dans le rang des citoyens de Lainé ont été enregistrées.  Une situation qui a irrité les ONG de défense de droits de l’Homme en Guinée forestière. Le lundi 22 janvier 2024, elles ont procédé à une déclaration devant la presse locale. Le collectif qui « accuse les forces de  défense et de  sécurité des cas de vol et pillages, a invité le tribunal militaire à se saisir du dossier afin de faire toute la lumière sur cette affaire. Cependant, il  s’insurge contre  la déportation de 71 personnes arrêtées en lien à ces évènements dans les maisons centrales de Kindia et Conakry avant d’exiger la tenue rapide de leur procès. Le collectif a par la suite , invité  les populations de Lainé à ne pas se rendre justice ». 

Les mises en cause entendus par la justice

Abdoulaye Komah est le procureur de la République près le Tribunal de première instance de N’Zérékoré (au moment des faits). Il informe que les « personnes interpellées étaient en possession d’armes, de chanvre indien, des grigris et des balles de calibre 12. Elles ont été entendues après leurs interpellations par les brigades de recherches de la gendarmerie et du commissariat urbain de N’Zérékoré. Elles sont poursuivies pour “coups et blessures volontaires, incendie volontaire, outrage et violence envers les dépositaires de la loi, de la force publique, détention et consommation de chanvre indien, détention des armes légères et de petit calibre et charlatanisme”. Elles ont toutes été placées sous mandat de dépôt et certaines sont dans les maisons centrales de Kindia et Conakry ». 

Abdoulaye Komah avait promis tout de même que toute la lumière serait faite sur cette affaire dans un bref délai et que les coupables seraient punis à la hauteur de leur forfaiture.  Mais jusque-là, rien n’est fait pour les situer sur leur sort.

Une conférence de presse animée par des ressortissants de la Guinée  forestière

Le Comité de crise des ressortissants de la région basé à Conakry ont animé une conférence de presse, accompagnés de leurs avocats, dans la capitale guinéenne le 11 mars 2024. Ils ont dénoncé les tristes évènements qui se sont passés à Lainé entre bouviers « étrangers » et « autochtones ». Selon eux, 71 personnes ont été arrêtées et « détenues illégalement à N’Zérékoré, Kindia et Conakry ». Les conférenciers ont exigé leur libération immédiate et sans condition. Sans que leur appel ne porte fruit pour le moment.

Malgré l’implication des autorités préfectorales de Lola et des délégations ministérielles dans la localité après ces évènements, les populations exigent toujours et sans condition le départ des éleveurs et leurs troupeaux de leurs différentes localités.

Conclusion 

Face à cette situation, il est urgent que des dispositions soient prises par l’ensemble des acteurs impliqués pour limiter les dégâts, et trouver un moyen de ramener une paix durable dans la zone. 

Pour les agriculteurs : nous invitons les agriculteurs à arrêter de se rendre justice, en cas de dégâts causés par les zébus. Il faut remonter les informations  au niveau des comités de crise locaux et faire confiance aux autorités (administratives et judiciaires) ; 

– Pour les éleveurs : respecter les périodes de transhumances, surveiller et encadrer les animaux pour qu’ils ne détruisent pas les cultures ;

A l’Etat : de réglementer le secteur et ou de faire respecter les lois et les conventions établies entre éleveurs et agriculteurs, rester neutre et équitable entre les entités, informer et sensibiliser les citoyens, d’inviter les services de défenses et de sécurité à intervenir dans les zones conflictuelles avec responsabilités ;

A la justice : de tenir des procès justes et équitables dans des délais raisonnables, sanctionner les coupables et vulgariser les décisions de justice pour informer les citoyens et prévenir d’éventuelles récidives. 

Ces quelques pistes peuvent contribuer à remédier ces conflits dans les localités concernées.