Recrutement dans l’armée guinéenne: quand des influenceurs attisent les tensions ethniques

En Guinée, les procédures de recrutement par l’armée peuvent servir de prétexte pour l’ethnicisation. Les recrutements dans l’armée de l’air, dans le génie militaire et dans les forces de défense et de sécurité n’ont pas échappé aux interprétations tendancieuses sur les réseaux sociaux. Certains internautes ont affirmé, sans fournir de preuves, que le processus a été biaisé par l’ethno stratégie. Une recherche approfondie sur le sujet permet d’édifier l’opinion publique  sur ce qui s’est réellement passé.

L’armée guinéenne a été créée le 1er novembre 1958, un mois pratiquement après l’indépendance du pays, le 2 octobre 1958. En Guinée, le service militaire obligatoire n’existe pas. Le recrutement est volontaire et l’âge minimum requis est de 18 ans. Le président de la République est le chef de l’Etat, commandant en chef des forces armées guinéennes.

L’armée guinéenne n’échappe pas aux obstacles au professionnalisme militaire en Afrique. Dans de nombreux pays  du continent, la pratique de recruter des militaires issus en majorité de l’ethnie du président est courante. Cette pratique qui sape les normes professionnelles militaires et parfois dresse les corps dressés les uns contre les autres sur une base ethnique.

Des experts s’accordent, en revanche, qu’une armée composée des troupes issues de toutes les communautés du pays crée un véritable socle sur lequel un état démocratique peut être édifié.

Dans son histoire, la Guinée a connu 3 coups d’Etat militaires. A la mort de Sékou Touré en 1984 après 26 ans de règne, le Comité militaire de redressement national (CMRN)  s’empare du pouvoir. Lansana Conté meurt en 2008 après 24 ans à la tête du pays. Le Comité national de la démocratie et le développement (CNDD) prend les rênes de l’Etat. Alpha Condé remporte les élections présidentielles de 2010. Il engage un programme de réformes de l’armée. Plus de 4000 officiers et sous-officiers sont envoyés à la retraite.  En octobre 2020, il brigue un 3e mandat. Il est renversé par un coup d’Etat, le 5 septembre 2021 menée par le Comité national du redressement et du développement.

Refondation de l’armée

Dans son discours à l’occasion du 64e anniversaire de l’armée guinéenne, le président du CNRD promet une “ refondation totale de l’Etat’’ qui, selon lui, va se traduire, dans l’armée, par la poursuite de la réforme du Secteur de sécurité à travers la consolidation des acquis par la formation, l’aguerrissement du personnel, l’acquisition des équipements modernes, la construction et la réhabilitation des infrastructures ainsi que par l’élaboration des textes, la restructuration des unités et l’amélioration  de la qualité des dépenses militaires. Ainsi qu’un “vaste programme de recrutement des jeunes diplômés sans emploi”.

Les différents recrutements

Au lendemain de la prise du pouvoir, le 5 septembre 2021, le CNRD a relancé le recrutement du personnel navigant et non navigant en faveur de l’armée de l’air, un projet lancé sous l’ancien régime. Après vérification des dossiers et contrôle du niveau académique des candidats, le concours, initialement prévu du 6 au 9 septembre 2021, a eu lieu les 22, 23 et 24 du mois à Conakry.

En novembre 2022, le ministère de la défense a annoncé le recrutement au compte du Bataillon de génie militaire et du commandement des unités agro-industrielles. Selon les résultats publiés, le 1er décembre, sur 5 070 postulants,   1 387 candidats ont été retenus. Ils ont été orientés au camp Kwame Nkrumah situé au Km 36 pour la formation de commune de base

Dans le même cadre, un autre recrutement au sein des forces de défense et de sécurité est lancé par le département. Des commissions régionales d’enregistrement du dossier sont mises en place dans les différentes régions militaires du pays:  Labé, Kankan et N’Zérékoré pour les régions respectives de la Moyenne Guinée, de la  Haute Guinée et de la Guinée Forestière. Les candidats de la Basse Guinée, région de Conakry et Kindia ont fait le dépôt de leurs dossiers au camp Almamy Samory Touré. L’ensemble du processus a été piloté sur le territoire national par le Secrétaire général de l’état-major général des armées.

La réception des dossiers de candidature a eu lieu entre le 21 novembre et le 11 décembre 2022. Le recrutement concernait, particulièrement,  les diplômés, les ouvriers ou encore des techniciens dont la tranche d’âge est de 18 à 28 ans.

Des résultats contestés

Après le test physique et la visite médicale du 16 au 31 janvier 2023, les 3393 retenus ont été soumis aux épreuves écrites, les 25 et 26 février 2023.  Ils étaient répartis par région militaire comme suit: N’Zérékoré 1 199, Kankan  581, Kindia  423, Labé  254 et Conakry  936 candidats. Dans un autre communiqué, les autorités ont indiqué avoir pris soin de contacter individuellement les candidats. Ils ont été répartis dans les Centres d’instruction et d’infanterie  (CII) de Kindia, Labé, Kankan, Nzérékoré,  Kissidougou et SIAM. Dans nos recherches, nous n’avons pas trouvé les résultats de ce concours pour connaître le nombre d’admis contrairement à celui du recrutement au compte du génie militaire.

Témoignages des candidats à N’Zérékoré et á Labe

À la publication de la fiche d’orientation des retenus dans les différentes CII, des candidats malheureux ont crié au favoritisme. 

«Quand tu envoies tes dossiers, ils ne prennent même pas le temps de vérifier avant de te dire que ce n’est pas au complet. Pourtant, devant moi,  ils prenaient le dossier de certains sans même poser de question. Avant la course, certains avaient donné de l’argent aux formateurs, les autorités militaires sont à la base de tous ses manquements», accuse Kpakilé L. 

Joséphine G, quant à elle, soutient avoir passé toutes les épreuves et a même été appelée à rejoindre le CII de Kindia pour démarrer la formation de commune de base. «Avant de partir, j’avais vérifié mon nom et j’avais apporté tout ce qu’on nous demandait. Mais, à ma grande surprise , trois jours après la formation, j’ai été expulsée de la salle. On était au nombre de vingt personnes. Quand j’ai demandé , ils m’ont fait comprendre que mon nom n’existait pas sur la liste. Je leur ai fait comprendre que j’ai bien vu mon nom sur la liste avant de quitter N’zérékoré (au sud du pays, NDLR). Malheureusement, ils ne m’ont pas écouté et ils m’ont fait sortir avec force”, s’indigne-t-elle, tout en accusant les autorités militaires d’avoir substitué sa place.

Dans la région de Labé, Mamadou Saliou D  déplore la méthode employée par les autorités militaires pour l’écarter des effectifs. 

Face aux multiples accusations, une source militaire du côté de N’zérékoré a confié, sous anonymat, que le processus s’est déroulé sans incidents majeurs du début jusqu’à la fin.  «Si certains candidats pensent qu’ils ont été  discriminés, ils doivent faire recours à la commission de recrutement  à travers le ministère délégué à la défense nationale. Nous , on exécutait que les ordres qu’on recevait de leur part», précise la source .

La manipulation sur l’infosphère

En Guinée, la composition ethnique est distincte d’une région naturelle à une autre.  La Basse Guinée, la Moyenne Guinée, la Haute Guinée et la Guinée Forestière respectivement à prédominance Soussous,  Peuls, Malinkés et Forestiers. Au dépôt des dossiers, les candidats avaient la latitude de le faire dans leur région respective. Il y ont passé les différents tests physiques, visite médicale et écrit. Par contre, les orientations des candidats admis dans les CII n’ont pas été faites par provenance géographique. Par exemple, des candidats qui ont passé leurs tests à Nzérékoré ont été orientés à Labé et Kankan ou ailleurs, réciproquement.  Sans preuves solides, des internautes ont vite crié à l’exclusion de certains candidats issus d’une communauté X ou Y.   

Avec 137000 abonnés à l’époque de la publication, la page ‘‘News Afrique’’ poste la fiche d’orientation au CII de Labé, avec ce commentaire: “Guinée: recrutement dans l’armée, injustice totale”. 

“C’est l’instruction du président de la République, mais ils finiront par regretter leur acte’’, commente Bhoye Sow. “24 peuls sur 413 recrues”, décompte Kazaliou Sdly Diallo. “En Guinée, tôt ou tard, il y aura guerre civile”, alarme Mamadou Hady. “Liste de recrutement dans l’armée à Labé, aucun nom peul. C’est quand même trop flagrant”, publie la page ‘‘J’aime la Guinée’’ de 128000 abonnés.

Conclusion

Au regard des détails susmentionnés, on en vient à la conclusion qu’il est difficile de soutenir l’ethnicisation du recrutement dans l’armée. Ceux qui l’ont affirmée n’ont fourni aucune preuve. En lieu et place des spéculations, le souci devait être de savoir s’il existe des voies de recours pour les candidats non-retenus. Un tel débat aurait permis d’interpeller les autorités afin d’améliorer éventuellement les processus de recrutement dans l’armée guinéenne en permettant aux non admis de contester les résultats devant une structure habilitée.

Les sujets liés à l’armée sont sensibles, encore plus sous une transition militaire comme c’est le cas actuellement. Il est recommandé d’avoir des informations bien sourcées avant d’en parler pour ne pas semer la haine entre les communautés.